Des étudiants en journalisme sont venus me rencontrer, il y a quelques semaines, pour en savoir plus sur l’audiodescription. Ils ont eu l’opportunité de rencontrer les spectateurs et d’écouter l’audiodescription d’Un instant au Théâtre Gérard Philipe. Ils partagent avec nous leurs impressions. Merci à Hugo Hebbe, Matt Finance, Clément Serrière pour la rédaction de cet article.
“On est où là ?” s’interroge Monique, jeune septuagénaire. “On est au premier rang, en face de la scène” lui répond son accompagnatrice tout en la guidant par la main. Le handicap de Monique l’empêche de voir. Elle est pourtant venue assister à une représentation de “Un instant” au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis.
Autour d’elle, d’autres personnes malvoyantes s’installent sur les sièges en bois ornés de coussins rouges. La pièce est décrite par le metteur en scène Jean Bellorini, écharpe au cou et tenue décontractée. C’est lui qui éclairera à son public si particulier l’environnement qui les entoure. “Vous êtes dans un lieu marqué par le temps, les murs craquelés qui vous entourent et les décors de ce théâtre reflètent le sujet de ma pièce, les souvenirs”. Par ses mots, Monique visualise une salle de spectacle bâtie à partir d’un bois noir couleur charbon. La scène, quant à elle, est riche par son originalité avec plus d’une centaine de chaises empilées d’un bout à l’autre, ainsi que par ses détails. “Côté cour, il y a une sorte de cabane en hauteur dont les murs sont tapissés de liège pour insonoriser la pièce des bruits extérieurs. Cela représente le lieu de travail de Proust. Vous comprenez ce que je dis ?”. Côté cour, côté jardin, le vocabulaire théâtral virevolte dans les esprits des spectateurs attentifs. “On voit très bien” confie Michelle aux côtés de son Berger Suisse blanc, “on voit même plus que vous”.
Sourires aux lèvres, les visiteurs sont invités à monter sur scène et à explorer le décor par le toucher. […] Jean Bellorini va même encore plus loin en expliquant certains secrets de mises en scènes, les trucages ingénieux ou encore la représentation des décors et le contexte qu’il souhaite leur attribuer. […]
Silence dans le casque, silence dans la salle. La pièce va commencer. […] Entre les tirades des acteurs, le récit s’enrichit de commentaires constructifs. “L’homme s’écarte un peu, en invitant d’un geste de tête la grand-mère à s’exprimer au public”. Décrivant une gestuelle et des mouvements imperceptibles, la voix procure la vue au spectateur à travers toutes les scènes jouées. Réplique. Voix off. Réplique. La pièce se déroule dans une mécanique théâtrale des plus classiques. Des rires émanent du public : la recette du porc au caramel de la comédienne fait mouche. L’imagination développe des sentiments bien plus forts quand la pièce est aveugle. Tout le pouvoir de l’ouïe entre en action. Le visuel n’a plus d’importance. “Les chaises empilées contre le mur du fond illustrent une vie, faite de récits, d’histoires, d’écrits”. Les explications lancées dans le casque éclairent sur le sens des choix scéniques. L’ouïe devient alors le sens le plus fort du corps humain, et cette voix off omniprésente aboutit à un rapport inédit avec.
Dernière réplique. Les spots s’éteignent les uns après les autres. Les acteurs, souriant, apparaissent ensemble, se tenant par la main. Ils saluent le public avant d’être rejoints par le metteur en scène. De très longs applaudissements se font entendre, tandis que la voix accompagnatrice signale que la pièce se termine. L’ovation dure. Les lumières baissent enfin. Les comédiens, émus par l’accueil enthousiaste des spectateurs, disparaissent définitivement dans le noir de la scène. C’est au tour de Monique, Robert ou encore Michelle et son fidèle canin de quitter la salle. Les commentaires fusent, les impressions se partagent, le bonheur d’avoir vu cette pièce se ressent. “C’est terrible ! La fin était vraiment prenante”. L’expérience vécue par ces personnes oubliées offre un regard neuf sur le théâtre.